Equilibre Acide / Base

Par Denis Riché- I.E.DM.- « Kinésport Formations».
Nouvel article de Denis RICHE ; un tantillet complexe mais ô combien interessant; Bonne Lecture; FRED


Introduction : L'équilibre acido-basique de l'organisme :



      Les cellules fonctionnent dans un contexte où la concentration en ions H+ (acide), varie relativement peu. Sinon, de nombreux processus physiologiques seraient perturbés. Or, un certain nombre de phénomènes peuvent concourir à apporter des éléments acides. On évoque cette situation sous le terme d'acidification. Des processus de correction ou de compensation interviennent alors pour préserver, plus ou moins efficacement, ce contexte métabolique optimal. Ainsi,  il est remarquable de constater que, malgré les à-coups de l'alimentation, le pH sanguin reste stable entre 7,36 et 7,42 ».
La compensation de ces « à coups » fait appel à des mécanismes qu'on nomme les « tampons ». Un « tampon » est un système comportant  un acide faible et sa base conjuguée (H2CO3/HCO3-) par exemple. Il permet aux ions bicarbonates (HCO3-) de se combiner à des ions H+ pour former H2CO3 : l'ajout de quantités modérées d'acide ou de base forts n'entraînera pas une variation importante du pH. Par contre, l'activité métabolique produit des protons (via le CO2 et les acides forts). De plus, l'oxydation des nutriments dans les cellules génère de grandes quantités de CO2. En outre, le catabolisme hépatique des acides aminés soufrés produit des acides forts (sulfurique et phosphorique). Ils doivent tous être neutralisés pour assurer le maintien de l'équilibre du  milieu cellulaire. Pour cela, trois systèmes tampons principaux sont mis en jeu par l'organisme. Ce sont les os, les poumons et les reins. Ils interviennent à des moments différents. D'un point de vue chronologique, se produit d'abord une réponse osseuse: carbonate et bicarbonate de Ca sont arrachés de l'os et neutralisent les ions H+, puis à moyen terme, c'est l'excrétion du CO2 pulmonaire qui permet de neutraliser des H+ sous forme de gaz suivant la réaction suivante H+ + HCO3- è H2O + CO2. Cette réaction nécessite la consommation d'un ion HCO3 - qui sera généré par le rein à plus long terme (au bout de quelques heures). Pour sa part, la réponse rénale d'excrétion nette acide intervient après plusieurs jours. En réponse à une charge acide, les reins augmentent la disponibilité en HCO3 par deux grands mécanismes : leur réabsorption par le tube proximal du néphron et leur régénération via la formation d'acidité titrable et la formation de NH4+. A l'état basal, le rein élimine ainsi chaque jour les 70 mEq de H+, ions du catabolisme des acides aminés, des acides organiques non métabolisés, de l'acide phosphorique et autres sources acides.
Usuellement, certains auteurs proposaient plutôt le recours au pH urinaire pour apprécier la mise en jeu de ces mécanismes régulateurs. Or, le pH urinaire représente un mauvais reflet de la charge acido-basique. Dans une étude récente, menée chez les sportifs, on constate une grande variabilité du pH urinaire d'un jour à l'autre. De nombreux facteurs peuvent intervenir pour l'expliquer, comme l'activité physique, l'alimentation… Notons qu'une variation de une unité de pH correspond à une différence d'un facteur 20 de la concentration en H+ urinaire.



          En fait, aujourd'hui, on apprécie ces mécanismes régulateurs en procédant à la mesure d'un autre paramètre. Il s'agit de l' « Excrétion nette acide » (ENA). Elle se calcule ainsi : (acidité titrable + NH4) – (HCO3). On pourra ainsi évaluer les incidences des apports protéiques et du K (reflétant les acides organiques). Il s'agit d'une mesure couramment utilisée dans les études du métabolisme acido-basique. La mesure de l'ENA permet d'obtenir non pas la charge acide du repas, mais bien des aptitudes d'un individu à gérer cette charge acide, ce qui va aider à prévenir l'apparition de déséquilibres ioniques et leurs conséquences éventuelles : troubles fonctionnels et pathologies, en conseillant des mesures nutritionnelles adaptées. On peut considérer que la mesure de l'ENA traduit bien l'aptitude de l'organisme à gérer la charge acide des repas sur plusieurs jours.

            En-dehors du champ de l'exercice et de la notion de performance, la question de l'équilibre acido-basique a suscité bien des interrogations en rapport avec la préservation d'un état de santé optimal. Cela ne date pas d'hier. Dès le début des années 60, le Dr Catherine Kousmine s'est intéressée aux déséquilibres (alors naissants) de l'alimentation moderne, et à son impact à long terme. Les phénomènes auxquels elle a consacré une partie de son travail ne consistaient pas en une élévation brève et massive de l'acidité tissulaire comme sous l'effet d'un 1500 m. Elle s'est plutôt focalisée sur les répercussions à long terme d'un déséquilibre mineur et chronique. Elle a ainsi développé la notion de « terrain défavorable ». Selon ce concept, longtemps décrié par la médecine conventionnelle, l'acidose perturbe l'équilibre et le fonctionnement des cellules, des tissus et des organes au point, pensait-elle, de pouvoir favoriser chez des sujets prédisposés la survenue de certaines pathologies. Elle proposait, pour répondre à des problèmes d'acidification, une ration à dominante végétarienne et l'ajout de sels organiques comme les bicarbonates et les citrates, pour rééquilibrer l'organisme. Certaines de ces options alimentaires d'alors se sont avérées justes au fil des années.

            La question de l'impact réel d'un aliment X sur cet équilibre a longtemps suscité des interrogations et occasionné des erreurs méthodologiques. Selon qu'on parlait d'acidification sanguine, tissulaire ou urinaire, les données mises à notre disposition et les conseils qui s'ensuivaient variaient en effet beaucoup, générant une confusion et une cacophonie qui n'aidaient pas à prendre des positions tranchées. Par exemple concernant les agrumes ; du fait qu'ils sont dotés d'une saveur acide et riches en acide citrique, on les a longtemps suspectés de favoriser les tendinites. Même chose pour les tomates. En fait, on sait désormais évaluer correctement l'impact véritable d'une denrée sur le pH de nos tissus. Certains auteurs ont en effet réussi à concevoir une équation complexe qui prend en compte les teneurs de différents éléments acidifiants (sulfates, phosphates, chlorures, nitrates) ou alcalinisants (calcium, potassium, magnésium, sodium). En soustrayant les secondes des premières on obtient un score. C'est le « PRAL », abréviation de l'expression anglaise « Potential Renal Acid Loading », qu'on peut traduire par « Potentiel de Charge Acide Rénale ». Si sa valeur est négative, le produit est alcalinisant. L'inverse témoigne d'un caractère acidifiant qui sera d'autant plus néfaste que le score sera fortement positif. Ce score qui témoigne de l'aptitude potentiel d'un aliment à alcaliniser tient largement compte des teneurs minérales des produits étudiés. Or, il existe des fluctuations de celles-ci. Des pertes à la cuisson peuvent notamment intervenir. Remer a anticipé sur ce biais éventuel en introduisant des coefficients de pondération. Il a par exemple diminué de 30% la teneur brute de certaines denrées en magnésium ou calcium. Les données figurant dans le  tableau ( voir le tableau en page nommée "Aliments : acide ou base" ) sont celles qui sont tirées de ces ajustements. Des légumes comme les épinards gardent malgré cela un caractère très intéressant, en dépit de la déperdition consécutive à leur cuisson.
Ce système aujourd'hui validé a permis de constater que les agrumes, à l'instar de l'ensemble des végétaux frais, possèdent un caractère alcalinisant. Les chiffres les plus négatifs (traduisant le plus fort potentiel alcalinisant) se retrouve avec les fruits secs (figues, dattes, raisins), les épinards, le melon, et d'une manière générale, avec l'ensemble des végétaux frais. Parmi les sources de glucides, les pommes de terre et les châtaignes sont les seuls à posséder un PRAL négatif (voir le tableau). Les céréales et légumes secs sont pour leur part légèrement acidifiants pour certains (céréales complètes, lentilles) et davantage pour d'autres (riz blanc, pâtes blanches, pain blanc), sans doute en raison de leur pauvreté relative en éléments minéraux. Les dérivés de soja (tofu compris) sont alcalinisants, tout comme ceux du chou, en dépit de leur richesse en éléments soufrés.
La lecture de ce tableau nous montre que, hormis les fruits et légumes, la plupart des aliments courants sont faiblement ou fortement acidifiants. Cela amène, d'emblée, à s'interroger sur la facilité à conserver un bon environnement acido-basique dans la cellule avec l'alimentation moderne. L'analyse de ce tableau amène en outre quelques réflexions à propos de certains aliments qu'on imaginait volontiers agir sur cet équilibre dans un sens opposé de celui par lequel ils agissent effectivement.



      Ainsi les laitages, longtemps considérés comme alcalinisants dans leur ensemble, doivent désormais être regardés de manière plus nuancée. Le lait et les yaourts, effectivement, se comportent globalement de manière neutre. Ils sont potentiellement neutres. Pour ce qui est des fromages, il semble que leur origine compte beaucoup dans l'effet obtenu. Ceux à pâte dure et tirés du lait de vache, sont certes très riches en calcium. Mais il s'agit aussi de sources abondantes de phosphore. Au final, il s'agit de produits très acidifiants, davantage encore que la viande rouge, pourtant reconnue, sur ce plan, pour son caractère défavorable. Les poissons le sont à peine moins, alors que classiquement on oppose la  viande rouge « acidifiante » aux poissons, ceux-ci étant considérés comme plus propices à une bonne récupération. A l'inverse, les laitages de brebis et de chèvre ont un caractère acidifiant moins marqué que ceux tirés des ruminants. Il s'agit bien évidemment d'une information tout à fait originale et intéressante. Elle constitue, en tout cas, une pierre de plus dans le jardin de ceux qui voient, dans le régime crétois, un modèle « santé » de référence. Enfin, les œufs sont peu acidifiants. Tous ces aliments sont donc compatibles avec un bon état de santé, notamment après un effort.

D'autres surprises émaillent la lecture de ces travaux. Elles concernent en particulier les caractéristiques des boissons. On a vu que le caractère acidifiant de la ration favorise la fuite accrue et précoce du calcium au niveau urinaire. A terme, ce phénomène peut accélérer la survenue de l'ostéoporose chez des individus prédisposés. Certaines boissons sont très préjudiciables sur ce plan. Diverses études soulignent que la prise quotidienne de boissons au cola favorisait les fractures spontanées.

Qu'en est-il des eaux riches en calcium, qui pourraient constituer une réponse cohérente à ce risque de déminéralisation, surtout chez ceux qui consomment peu de laitages ? Divers travaux ont montré que le calcium qu'elles renferment est correctement fixé au niveau intestinal. Mais ce qu'il advient, ensuite, à l'échelle de l'organisme dans son ensemble, va largement dépendre des taux de bicarbonates ou de sulfates de ces eaux. Ainsi, une eau calcique sulfatée va apporter du calcium mais, par ailleurs, va provoquer la mobilisation et la perte urinaire de ce minéral. Des eaux comme « Talians », « Hépar », « Courmayeur » ou « Contrex », plus riches en sulfates qu'en bicarbonates, ne seront utiles que si, simultanément, on consomme beaucoup de végétaux, de façon à compenser la charge acide qu'elles fournissent. Aussi, les  eaux gazeuses riches en bicarbonates, calcium et magnésium et pauvres en sulfates, comme « Arvie », « Badoit », « Quezac » ou « San Pellegrino » seront encore plus utiles. Surtout après l'effort. Notons encore que de récents travaux indiquent clairement qu'en présence d'une ration acidifiante, les pertes urinaires en magnésium sont très fortement augmentées, ce qui peut expliquer certains cas de déficit chronique réagissant  mal aux complémentations usuelles en cet élément.

   En conclusion, il apparaît que le modèle de la pyramide d'inspiration crétoise, avec une large base de fruits et légumes, la présence de laits fermentés de fromage frais plutôt que de variétés à pâte dure, avec une ingestion modérée de viande rouge et une hydratation optimale va dans le sens d'un respect relatif de l'équilibre acido-basique. Il rompt cependant de manière tranchée avec les conseils habituellement donnés aux sportifs.

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